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Dans les pas du jaguar

Dernière mise à jour : 31 mai 2023


J’adore les histoires. Pas vous ? Elles ouvrent les portes du rêve et de l’imaginaire, leurs personnages nous embarquent dans leurs aventures et sentiments, leurs mots donnent le ton et le rythme.


Aujourd’hui, je vous offre une histoire que j’ai écrite pour un concours de nouvelles dont les phrases du début et de la fin, ainsi que le nombre de caractères étaient imposés. Cette contrainte m’a entrainée vers des souvenirs de voyage au Mexique, de voyages chamaniques et d’anecdotes qui m’ont touchées. Et bien entendu, vers leurs perles de sens…


« Une voix de femme qui parle, qui raconte des histoires de vie et de mort, a le pouvoir de donner la vie. » Paul Auster

Ainsi parle Tequani

Je crois que j’ai entendu du bruit sous le lit. On dirait un feulement. Il n’y a pourtant pas de chat ici ! Encore ce jaguar. Il y a un message pour moi.


Voilà quelques semaines que Stella occupe cet appartement au centre d’Oaxaca. Étudiante en maîtrise « Histoire de l’art et archéologie » à l’université de Clermont-Ferrand, la jeune fille brune aux yeux sombres est venue au Mexique pour deux raisons : donner de la densité à son mémoire de fin d’études sur l’art dans les traditions zapotèques et fouler la terre de ses ancêtres. Une excitation mêlée d’appréhension ne la quitte pas depuis son arrivée.


― Allô, Louise ?


― Salut Stella ! Comment ça va au Mexique ?


― Il se passe des trucs étranges, je suis poursuivie par le jaguar !


― Encore ! Tu en as vu un vrai ?


― Non, j’ai entendu un feulement sous mon lit et j’ai rêvé que je déambulais dans Monte Alban sur le dos de Tequani, le jaguar en zapotèque. La cité n’était pas en ruines, il y avait du monde, des couleurs vives et moi j’observais, juchée sur l’animal, comme invisible aux yeux des autres. Et là, Selena est venue vers moi.


― Selena ? Ta grand-mère mexicaine ?


― En personne ! Elle a désigné une superbe femme et m’a dit : « Voici la reine de Monte Alban, notre aïeule. Peu après sa mort, son urne funéraire a disparu avec ses cendres. Retrouve-la Stella ! » Je me suis réveillée en sueur et j’ai entendu ce feulement.


― C’était juste un rêve, Stella !


― Tu connais mon adage. Une fois, je ne le vois pas ; deux fois, pourquoi pas ; trois fois, ça parle de moi !


― Et voilà trois rencontres avec un jaguar. Est-ce que ta grand-mère t’avait parlé de ses origines ?


― Jamais. Ni elle ni ma mère ne voulaient parler du Mexique. Pour elles, il fallait aller de l’avant et oublier le passé. Je ne sais rien.


― C’est toi la reine des analogies Stella ! Tu vas bien voir où veut t’emmener ce gros chat.


― Oui, tu as raison. Le jaguar est une figure récurrente dans l’art zapotèque mais je sens qu’il y a autre chose. Et toi ? Comment se passe ton séjour dans la Grosse Pomme ?


― C’est génial ! Les musées regorgent de trésors et là, j’ai rendez-vous avec un conservateur. Faut que j’y aille, je te raconterai.


― OK, à plus tard.


Une semaine avant leur départ de l’université, les deux amies étaient allées au vernissage d’une exposition dans le petit village de Châtel-Montagne. Là, Stella s’était immobilisée, émue, devant un jaguar longiligne sculpté dans une pièce de bois.


― Stella ? Ça va ? s’était enquis Louise.


― Oui oui. Ça fait juste deux jaguars aujourd’hui avec la voiture qu’on a suivie tout à l’heure.


― Celle qui n’avançait pas ?


― Oui. C’est la première fois que je voyais une Jaguar.


― C’est bien la peine d’avoir une si grosse bagnole pour avancer comme un escargot !


― Regarde comme ses courbes sont douces et puissantes à la fois. Cette sculpture est magnifique.


Stella a fait le choix de transformer sa sensibilité en un jeu, celui de capter les messages que la vie lui adresse dans tout ce qui la touche, par analogie. Après son rêve et ce mystérieux feulement, elle lance une requête sur le félin et découvre qu’il a la particularité d’écraser la tête de ses proies d’un seul coup de dents.


Une mâchoire assez puissante pour aplatir un crâne me parle de vivre l’instant présent sans tout calculer d’avance. OK, j’arrête de cogiter sur l’étrange phrase de Selena et je me laisse guider ! Le temazcal tombe à pic.


Pour son mémoire, Stella a rendez-vous aujourd’hui avec Diego, un temazcalero qui perpétue la tradition zapotèque du temazcal. Il la reçoit chaleureusement et lui explique que le temazcal est à la fois ce dôme d’argile décoré représentant le ventre de la Terre Mère et la rencontre du feu, de la terre, de l’eau et de l’air à l’intérieur. Les pierres de lave contiennent la mémoire du passé, lui dit-il. Une fois chauffées sur les braises et aspergées d’eau, elles diffusent leur savoir dans un souffle chaud.


Stella se prépare et rejoint Diego dans le petit dôme.


La voici assise dans une moiteur sombre. Elle respire calmement pour ne pas défaillir. Diego chante doucement en attachant entre eux des rameaux de feuilles épaisses. Elle respire, elle transpire, elle s’apaise. Maintenant allongée sur le ventre, elle se laisse porter par le chant du chaman qui fouette doucement son dos avec les branches. Son esprit part. C’est comme un rêve mais elle n’est pas endormie. Elle descend lentement dans une anfractuosité de la terre. Tequani l’attend et marche à côté d’elle le long d’une rivière. Là, la femme de son rêve s’approche et lui dit : « Je suis Nayeli, reine de Monte Alban. Nous sommes de la même lignée de femmes. Mon pouvoir a disparu avec mes cendres et il est temps qu’il se réveille en toi Stella. Vis-le ! » Stella caresse le jaguar, plonge dans la rivière et y trouve une perle qu’elle avale. Après, elle ne se souvient plus. Elle a dû s’assoupir.


Quand Diego pose le bouquet de branches et s’arrête de chanter, Stella ouvre les yeux et reste immobile quelques minutes avant de sortir à la lumière du jour où l’attend une citronnade fraîche.


Elle profite de cet instant de calme pour rassembler les pièces du puzzle. Le jaguar, Selena, Nayeli, ses cendres et son pouvoir de femme, la terre, l’eau, la chaleur, la perle. Le brouillard se dissipe peu à peu et un sens se révèle à elle, comme un lien entre tous ces éléments.


À moi d’accueillir la réalité telle qu’elle est. Tout est là, il ne me manque rien, je n’ai rien à chercher. Ça ne dépend pas de mon action et ça ne sert à rien de vouloir tout maîtriser comme ma mère et ma grand-mère.


Elle déguste la citronnade avec la sensation de toucher une vérité, de boucler une boucle, de digérer une perle.


Son téléphone sonne.


― Salut Louise !


― Tu ne vas pas me croire ! Je suis au Metropolitan Museum of Art devant une urne funéraire zapotèque en forme de jaguar !


Louise parle mais Stella ne l’entend plus. Elle sourit.


Je n’ai qu’à suivre mes intuitions et le reste ne m’appartient pas. Le sens se révèle à chacun de mes pas. Et c’est pour ça que je pars à New York.


...


Si vous souhaitez lire les autres nouvelles du concours, c’est par ici. Quel genre d’histoire aimez-vous ? Écrivez vous des histoires ? En racontez-vous ? N’hésitez pas à laisser un commentaire dans l’espace prévu à cet effet tout en bas de cette page. Merci !

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